Elle - "Il y avait des gens étranges qui vivaient dans les pavillons du quartier. La maison d’un ami chez qui j’allais parfois me laisse le souvenir d’un camaïeu sombre de couleurs brunes. Le sol, les murs et le plafond me semblent, dans mes souvenirs, être un agencement de teintes terreuses. De lourds rideaux couvraient presque entièrement les fenêtres, et la chambre de F. était la seule pièce recueillant quelques lumières joyeuses au cours de la journée. Le jardin était pauvre, racorni et gris. Je me demande ce que ses parents faisaient. Ils étaient souvent dans la cuisine à ne rien faire (me semble-t-il). Ce contraste saisissant avec ma propre maison (les odeurs agréables, la lumière bienvenue et l’air frais circulant en permanence) me fit prendre conscience très tôt de ce que pouvait être l’élan vital et ce que son absence pouvait générer de triste. "

F. - "Je me souviens parfaitement du jour où elle prit confiance en elle. Elle s’était mise à avancer la bouche en parlant. Son menton faisait un mouvement très contrôlé de haut en bas, de sorte que ses dents de devant avaient un alignement très différent. Des mots calibrés avaient pris la place de ses idées. Ses phrases ressemblaient plus à une équation qu’à un langage permettant de communiquer. Elle aimait qu’on pense la comprendre. Je ne voyais plus que sa bouche-costume et son menton-chorégraphie. Bizarrement, et malgré tout ce que je pouvais penser de mal, elle était devenue belle."